Restauration d’une viole d’amour anonyme, faite vers  1880,  
portant une étiquette apocryphe "Gagliano, 1667".  
Cet instrument (C 39), conservé au musée instrumental de Nice, est typique du goût pour l’ancien et le pastiche propre à la fin du XIXe siècle.  Lorsque le Musée nous le  confie en 1994, pour le restaurer, il est ouvert et en triste  état. La stratégie de restauration est de simplement remonter cet instrument en vue d’une éventuelle accroche.  Les difficultés de la restauration sont :
- la fragilité de l’instrument, causée par les nombreuses galeries de vers qui le parcourent, 
- les manques de bois qui trouent les éclisses,
- les problèmes qu’il y aura pour retabler, le vernis à restaurer, avant le nettoyage final et le remontage en cordes.  L’instrument est resté des années ouvert, les bords des éclisses et ceux de la table sont très abîmés, il y a de nombreux manques et de grosses déformations. Les marques laissées par un ruban adhésif  qui maintenait la table sur ses éclisses ont arraché des parties du vernis coloré.   

Suivant le cahier des charges : 
La barre est recollée, 
le sommier est recollé sur le fond après nettoyage,  
les galeries de vers sont nettoyées, rebouchées et parfois doublées à mi-bois,  
les parties apocryphes sont enlevées ou retaillées, 
la table est moulée pour retrouver son assise et permettre le retablage, 
les escarts sont recollés dans leurs logements, 
les cassures sont nettoyées et recollées,  
1 coin manquant est refait en copie, ainsi que quelques parties de contre-éclisses,
un nouveau filet en noyer (partiel) est posé, 
fabrication d’1 sillet du bas,  
fabrication d’1 cheville en copie, 
fabrication d’1 bouton et retablage, 
nettoyage général, petits rebouchages,
raccords de vernis et patines, 
fabrication d’un chevalet, 
cordes et montage.

Cette restauration cosmétique ne pose pas de réelles difficultés. L’intérêt de ce travail est celui de l’expertise. Sous le patronyme de Gagliano se retrouvent les membres d’une importante famille de luthiers qui à Naples vont fabriquer durant  les XVIII et XIX e siècles un nombre considérable d’instruments de qualité. L’examen de l’instrument, rendu plus facile puisqu’il est   ouvert et que la construction intérieure est accessible, et la comparaison avec les œuvres d’autres luthiers napolitains contemporains, permet de constater que la lutherie n’est en rien comparable avec celle pratiquée à Naples à la fin du XVIIe siècle : le vernis et la construction intérieure sont  plutôt ceux employés à la fin du XIXe.   
 
À cette époque, collectionner les instruments de musique est une activité très à la mode chez les riches érudits de la bonne société. Quelques marchands proposent alors des instruments fantaisistes, inspirés des temps anciens, richement décorés,  fabriqués par des ébénistes, et  qui ne correspondent pas à des options de lutherie mais à des choix esthétiques : nombre de cordes, marqueteries, matériaux atypiques incrustés, diapason fantaisiste, dessins des ouies, emplacements des rosaces, etc., souvent baptisés d’un nom prestigieux qui flatte une collection. Léopoldo Franciolini (1844-1920), antiquaire à Florence,  reste probablement le plus connu d’entre eux, mais il ne fut pas le seul à proposer à une riche clientèle des objets décoratifs de musique, des "faux artistiques", qui sont de nos jours encore conservés dans les collections sous de fausses attributions.

Nota-bene.
Depuis 2004 et l'application de la « loi musées », il est fait obligation aux musées français de n'employer, pour les restaurations de tous les objets conservés dans le cadre des collections publiques, que des « restaurateurs habilités ». Par ce vocable, on entend uniquement les universitaires possesseurs de ce diplôme d'état délivré par l'Institut National du Patrimoine. Ce diplôme couvre toutes sortes de techniques et de matériaux, mais ni l'expertise des instruments de musique ni la lutherie ni l'acoustique ne sont abordées durant la durée du cursus. Dorénavant seuls le « restaurateur habilité » pour le bois, (tous les bois du monde ?), est qualifié pour restaurer les objets du patrimoine conservés dans nos collections nationales et peut passer indifféremment des parquets aux charpentes, du mobilier aux bateaux, des statues aux instruments de musique, etc., pourvu qu'il ait l'« habilitation ». Une polémique se fait jour donc entre les conservateurs des musées qui, conscients de leurs incompétences en matière de lutherie, désirent conserver les instruments historiques uniquement pour leur aspect visuel et culturel, et les luthiers qui estiment que la sonorité d'un instrument, ce qui est sa spécificité et son identité propre, doit et peut être restaurée au même titre que la caisse qui la produit.
Les professionnels qui, depuis bien avant que le titre de conservateur ne soit inventé, analysent, examinent, expertisent, fabriquent et restaurent les instruments de musique, et cela par pays et par catégories, (vents, cordes, claviers, cuivres, etc.) se trouvent ainsi écartés des collections publiques françaises. L'« habilitation » pour un non-universitaire étant quasiment impossible à obtenir, ils exercent leur art auprès des collections privées.

Lire : "Habilitation-restaurateur-des-musees.com".