Guitare de René Lacote, Paris
Lacote est le plus important facteur français de guitare du 19è siècle.
Il apprend son métier chez Pons, lui même artisan de grand talent, luthier favori de l’impératrice, épouse de Napoléon Bonaparte.
Lacote va passer du statut d’ artisan qui fabrique quelques instruments par an, à celui de chef d’entreprise qui, à l’instar de Jean-Baptiste Vuillaume, va devenir, en se developpant avec le 19ème siècle un entrepreneur, un formateur, un auteur innovant , à l’affut de ce que le siècle et ses techniques peuvent lui apporter. Il laisse des centaines de guitares, différentes, élégantes, faisant montre d’un bel enthousiasme et d’évolutions constantes. Il est le chef de file incontesté de la facture de guitare à Paris au 19e s et le sera jusqu'à l’avènement du modèle popularisé par l’espagnol Antonio de Torres.

Sur cette guitare, réparée déjà une fois en 1897 par Antonelli, luthier italien installé à Londres, le chevalet avait été décollé et recollé mal, de coté. Ce faisant les 6 trous d’accroche des cordes se retrouvaient doublés laissant une large bande horizontale de 12 trous, et créant ainsi un faible énorme dans la table. La tention des cordes a arraché le chevalet et la partie de table qui subsistaient entre les différents trous d’accroche, occasionant une tranchée béante et 2 franches cassures, le tout situé à un endroit stratégiquement important pour la sonorité de l’instrument.

Nous devons décider d’ une stratégie de restauration.
- Soit se contenter de recoller les cassures et le chevalet sur son emplacement accidenté, puis de remonter l’instrument. A ce moment le chevalet qui n’a pratiquement plus de surface de contact avec la table ne tiendra pas et se redécollera rapidement, entrainant avec lui une ou plusieurs autres parties de la table toujours fragilisée par les trop nombreux trous.
- Soit avant de recoller le chevalet reboucher le trou dans la table et assurer ainsi au chevalet une bonne assise et une surface de collage suffisante. Donc remettre une pièce d’épicéa sur la table, puis recoller le chevalet sans que ces recollages ne se superposent.
- Soit renoncer à restaurer cette interessante guitare.

Avec l’accord du propriétaire de cette belle guitare, nous choisissons de remonter la guitare pour le jeu et de prendre la deuxième option. Après avoir déposé le filet ébène du pourtour du dos de la guitare, nous ouvrons l’instrument par le fond. Les deux cassures de la table étant très fraiches, elles sont recollées immédiatement sans difficultés.
Nous avons établi la stratégie de la restauration, en tenant compte des désirs du client et de ce que nous estimons être utile, nécessaire et intelligent pour la survie et la conservation dans les meilleurs conditions possibles de la guitare. Du fait de la non-rareté de l’instrument, le modèle basique de Lacote des années 1830, de son exceptionnelle qualité de son et d’émission, en tenant compte que 1830 n’est pas un temps très éloigné en termes de lutherie et que les instruments fabriqués par les maîtres de cette époque sont actuellement au mieux de leur efficacité et de leur rendement, nous décidons de faire sur cette guitare une pièce qui rebouchera la surface du trou à l’extérieur de la table et qui grâce à un collage particulier assurera une bonne résistance tout en gardant l’épaisseur originale de la table.

Il s’agit donc d’insérer une pièce en double biseau entre les deux barres sous la table.
Il faut trouver un morceau d’épicéa de même type et d’un age aussi proche que possible que celui qui manque sur la table. Nous possèdons depuis de longues années une table de Lacote des années 35. Cette table était incomplête (environ 1/4 de manque), très accidentée (nombreuses cassures) et avait donc été remplacée sur sa caisse. Le client nous avait offert l’épave de table et depuis nous « piochons » dedans uniquement pour les flipots des guitares de Lacote que nous sommes amenés à réparer. Bien sur ce n’est pas le bois original, mais il est tout de même contemporain de la guitare, et choisi en son temps par le luthier.

Sur environ 3,5 cm au dessous et 2 cm au dessus du trou nous affinons la table, en biseau, jusqu'à zéro. Les cotés verticaux du trou sont recollés (les cassures recollées en premier). Nous ajustons à la craie une pièce de notre morceau d’ épicéa-Lacote de façon à ce que l’extérieur soit rebouché sans agrandir visiblement le trou, et que de l’intérieur la pièce ait une surface presque double, ce qui tout en gardant la même épaisseur de table, assure une surface de collage suffisante pour supporter à nouveau le chevalet et la tension des cordes.

Nous recollons le chevalet, reperçons la table par les tous du chevalet replacé dans sa position originale. Nous refermons la guitare, reposons le filet d’ébène qui entoure le fond et remontons la guitare en cordes. Après l’avoir laissée en tension quelques jours, nous la faisons jouer par un musicien.

Le résultat est à la hauteur de la difficulté de la restauration, et à notre grande fierté, cette guitare a retrouvé et sa fonction, et son excellence de résultat, et son esthétique originale.

D’aucun pourront argumenter que nous avons fait là preuve d’ « excès de virtuosité technique », expression utilisée lors de cet intéressant colloque consacré à la restauration des instruments de musique, organisé par l’INP et le Musée de la Musique (novembre 2005), mais nous ne sommes pas d’accord.
En effet, il s’agissait, en suivant ce que nous avons compris de « l’échelle de Riegl », sur un instrument important mais pas unique, solide mais accidenté de frais, de faire une réparation mécanique et de rétablir sa fonction sans le défigurer, en préservant les caractéristiques d’un auteur et son résultat. Nous aurions pu décider, avec l’accord du client, de recoller le chevalet sur la mauvaise restauration d’Antonelli, à la mauvaise place, de faire une « réparation illusioniste » avec des cordes factices et ne plus jamais faire jouer cette guitare devenue trop fragile et ne supportant plus la tension des cordes, mais cette solution ne peut satisfaire ni le propriétaire-collectionneur, ni le musicien-utilisateur, ni le restaurateur, ni à notre humble avis le conservateur, car à quoi sert une guitare qui n’aurait plus ni sa fonction, ni son esthétique, qui ne serait plus non plus le témoignage d’un auteur prestigieux, d’une réalité historique, d’un répertoire particulier, bref d’une partie de la culture.