Archiluth de Matteo Sellas, Venise 1638

Lorsque ce luth nous est donné a restaurer, il est remonté en guitare à 6 cordes. Un remaniement probablement fait au début du 19ème siècle qui a remplacé le long manche théorbé du luth par un manche court à 6 cordes plus un trou d’acroche. Le dos du manche est plaqué des mêmes filets que la caisse ancienne du luth qui est heureusement intacte, et que probablement l’était le manche original.

Le propriétaire de l’instrument nous demande, pour rendre son aspect visuel, historique et technique à l’instrument, et pour pouvoir éventuelement le jouer un peu, de refaire un manche et un chevillier en copie, et , après une recherche approfondie, nous choisissons parmi les luths de Sellas connus de part le monde celui de Paris conservé sous la référence 1028, très proche du notre et, fait incroyable, également de 1638. Nous fabriquons donc un manche et un chevillier avec ses 28 chevilles, mais nous ne gravons pas les cartouches d’ivoire de la touche. Bien que la table ne soit pas celle d’origine, mais déjà l’objet d’un remaniement ancien, l’ensemble est sain et peut supporter la mise en tension des cordes. Nous refaisons bien évidemment un chevalet en copie du 1028, après avoir effacé les marques du chevalet de guitare et nous livrons l’archiluth opérationel au client qui nous remercie chaleureusement.

Quelques semaines plus tard, nous trouvons par l’intermédiaire d’un ami, un manche d’archiluth, ivoire-ébène, complet, avec ses chevilles originales, ses cartouches gravés portant le nom de l’auteur et la date de la fabrication : Matteo Sellas, Venise 1638.

Cette coincidence est tout à fait invraissemblable, car il ne s’agit pas du manche original de ce même luth que par des hasards imprévisibles on aurait retrouvé après que les transformations aient été faites, et qui aurait été gardé en guise de témoignage comme le ferait un conservateur de nos jours. Non, il s’agit bel et bien d’un autre manche du même auteur et de la même année !
La caisse, à côtes d’érables et d’ivoire alternées, du premier instrument était complête, ainsi que son tasseau qui supportait le manche de guitare. Ce nouveau manche a, lui aussi, son tasseau original avec son clou forgé, et encore collées quelques parties des côtes ivoire-ébène et des filets de sa caisse originale qui a disparue.
Devant cette incroyable opportunité qui s’offrait, le propriétaire de l’instrument achète ce nouveau manche et nous le donne à remonter sur son instrument. Nous avons donc démonté le manche que nous avions fait et remonté ce magnifique manche portant la signature et les cartouches gravés de Matteo Sellas sur la caisse du luth du même facteur et qui porte de surcroit l’étiquette à l’intérieur de la même année.

Plus tard, en 1994, le Musée de Paris aquiert l’instrument et nous lui offrons le manche de guitare et le tasseau original du second manche que nous avions conservés.

Cette anecdote , si incroyable soit-elle, illustre parfaitement ce que parfois les restaurateurs et les experts sont ammenés à déméler dans les modifications et remaniements successifs qui jalonnent la vie et l’évolution d’un instrument de musique.

Cet archiluth est maintenant exposé au Musée de la Musique, à Paris, sous la référence E.994.7.1, avec la déscription suivante :
"Petit jeu : 8 x 2 cordes, grand jeu : 6 x 2 cordes,
dos à quinze côtes alternées d'ébène et d'ivoire,
table en épicéa,
rose sculptée,
manche plaqué d'ébène à marqueterie d'ivoire ,
touche ornée de trois plaques en ivoire gravé représentant des scènes de guerre,
étiquette dans la caisse : Matteo Sellas alla Corona In Venitia 1638.
Source : Inventaire du musée".


http://mediatheque.cite-musique.fr/masc/default.asp?URL=http://mediatheque.cite-
musique.fr/clientbooklineCIMU/toolkit/p_requests/default-collection-musee.htm

Nota-bene.
Depuis 2004 et l'application de la « loi musées », il est fait obligation aux musées français de n'employer, pour les restaurations de tous les objets conservés dans le cadre des collections publiques, que des « restaurateurs habilités ». Par ce vocable, on entend uniquement les universitaires possesseurs de ce diplôme d'état délivré par l'Institut National du Patrimoine. Ce diplôme couvre toutes sortes de techniques et de matériaux, mais ni l'expertise des instruments de musique ni la lutherie ni l'acoustique ne sont abordées durant la durée du cursus. Dorénavant seuls le « restaurateur habilité » pour le bois, (tous les bois du monde ?), est qualifié pour restaurer les objets du patrimoine conservés dans nos collections nationales et peut passer indifféremment des parquets aux charpentes, du mobilier aux bateaux, des statues aux instruments de musique, etc., pourvu qu'il ait l'« habilitation ». Une polémique se fait jour donc entre les conservateurs des musées qui, conscients de leurs incompétences en matière de lutherie, désirent conserver les instruments historiques uniquement pour leur aspect visuel et culturel, et les luthiers qui estiment que la sonorité d'un instrument, ce qui est sa spécificité et son identité propre, doit et peut être restaurée au même titre que la caisse qui la produit.
Les professionnels qui, depuis bien avant que le titre de conservateur ne soit inventé, analysent, examinent, expertisent, fabriquent et restaurent les instruments de musique, et cela par pays et par catégories, (vents, cordes, claviers, cuivres, etc.) se trouvent ainsi écartés des collections publiques françaises. L'« habilitation » pour un non-universitaire étant quasiment impossible à obtenir, ils exercent leur art auprès des collections privées.

Lire : "Habilitation-restaurateur-des-musees.com".