Mandore de Gaspare Vimercati, Milan c.1770
Cette mandore est arrivée à l’atelier dans un triste état, en plusieurs parties séparées.
Le bord de table est très abimé, le barrage semble intact mais les bords sont arrachés, la rosace en parchemin est déteriorée, la tête en plusieures parties avec des manques, la caisse est fendue en plusieurs endroits.

Le donneur d’ordre étant un musée, celui de Nice, un « cahier des charges » accompagne cette restauration assez difficile à exécuter.
Un « cahier des charges » résume l’élaboration de la stratégie décidée pour la restauration de l’instrument. Il est établi en collaboration entre le client, dans ce cas un musée, et le restaurateur, et tient compte à la fois de l’état physique et historique de l’instrument et de l’utilisation que l’on souhaite pour celui-ci : exposition, jeu, etc… L’expérience technique, mécanique et physique aquise au cours des années passées à l’établi permet au restaurateur de prendre, sans risques inutiles, les décisions de restaurations et de proposer au conservateur les différentes étapes de la restauration, ainsi que les moyens mis en place pour la mener à bien.

Suivant ce cahier, nous doublons les bords de la table, en ajoutant des pièces d’épicéa ancien, ce qui permettra de retrouver l’assise nécessaire au retablage ultérieur et au recollage final des filets de tour.

La difficulté de cette restauration consiste à reconstituer la rosace en parchemin. A l’aide d’une pince à épiler, nous déplions les fragments de parchemin restés collés aux barres de la table et par un jeu de pliage (en 4) sur un papier calque, avec un compas, nous retrouvons le dessin original de la rosace en déployant et/ou poursuivant les lignes encore existantes. Le dessin est alors décalqué sur un parchemin neuf et nous découpons la rosace moins les parties encore présentes. Cette rosace est collée sous les parties dépliées et retendues de la rosace originale et sur les barres qui traversent la table. Puis vient le temps de la mise en couleur, (pigments naturels et aquarelle).

Parrallèlement à ces opérations sur la table, après avoir nettoyé les cassures très encrassées de la caisse, nous avons recollé celles-ci. Les côtes sont en if avec l’aubier visible sur un des bords, comme souvent à cette époque, fragiles, et doivent être legèrement renforcées aux endroits cassés et au joint qui les relie. On ne peut poser de taquets dans une caisse ovoïde, des toiles légères en coton, fibre végétale assez proche du bois, légères et rémissibles sont posées sur les fractures.

La tête a quelques manques de bois, mais il en reste suffisament pour que les morceaux manquants à rajouter soient faciles à recopier au modèle sur les parties restantes, cette partie de la restauration ne pose pas de problèmes.

Ensuite, après un léger dépoussiérage des crasses accumulées depuis plus de 2 siècles à l’intérieur, nous refermons l’instrument et replaçons les filets du bord, plus les quelques petits manques. Un nettoyage externe, léger, et des raccords de couleurs (aquarelle, vernis) sont nécessaires, puis le remontage en cordes boyau rend sa fonction et sa lisibilité à ce rare et interessant instrument de musique.

Nota-bene.
Depuis 2004 et l'application de la « loi musées », il est fait obligation aux musées français de n'employer, pour les restaurations de tous les objets conservés dans le cadre des collections publiques, que des « restaurateurs habilités ». Par ce vocable, on entend uniquement les universitaires possesseurs de ce diplôme d'état délivré par l'Institut National du Patrimoine. Ce diplôme couvre toutes sortes de techniques et de matériaux, mais ni l'expertise des instruments de musique ni la lutherie ni l'acoustique ne sont abordées durant la durée du cursus. Dorénavant seuls le « restaurateur habilité » pour le bois, (tous les bois du monde ?), est qualifié pour restaurer les objets du patrimoine conservés dans nos collections nationales et peut passer indifféremment des parquets aux charpentes, du mobilier aux bateaux, des statues aux instruments de musique, etc., pourvu qu'il ait l'« habilitation ». Une polémique se fait jour donc entre les conservateurs des musées qui, conscients de leurs incompétences en matière de lutherie, désirent conserver les instruments historiques uniquement pour leur aspect visuel et culturel, et les luthiers qui estiment que la sonorité d'un instrument, ce qui est sa spécificité et son identité propre, doit et peut être restaurée au même titre que la caisse qui la produit.
Les professionnels qui, depuis bien avant que le titre de conservateur ne soit inventé, analysent, examinent, expertisent, fabriquent et restaurent les instruments de musique, et cela par pays et par catégories, (vents, cordes, claviers, cuivres, etc.) se trouvent ainsi écartés des collections publiques françaises. L'« habilitation » pour un non-universitaire étant quasiment impossible à obtenir, ils exercent leur art auprès des collections privées.

Lire : "Habilitation-restaurateur-des-musees.com".